


Voilà 9 ans que j'exerce la profession d'enduiseuse /matiériste coloriste en décors mural, et je suis encore surprise des teintes que peuvent finir par revêtir certains murs que je recouvre de terre, de chaux, voire de plâtre.
Je commence souvent par un échantillonnage des matières que je propose à mes clients, de sorte qu'ils puissent valider textures et couleurs avant signature du chantier.
Or il arrive parfois que la couleur finale in-situ nous fasse un effet différent de l'échantillon présenté initialement.
Plusieurs phénomènes imprévisibles en amont sont alors à l’œuvre :


- soit la luminosité naturelle de la pièce fait varier les teintes au grès de la journée, des saisons, et nous donne la sensation de couleurs différentes en fonction des zones observées (un même enduit peut paraître grisâtre dans l'ombre, et près des ouvertures très clair au lever du soleil, verdâtre au printemps, et orangé au soleil couchant)…... le rendu est parfois surprenant, c'est la magie de la lumière !

- soit la nature de l'éclairage définitif crée une sensation et des effets divergents de celle de l'éclairage initial (avant ou durant les travaux), il faudra alors trouver les ampoules et les positionnements des luminaires les plus adaptés à la mise en valeur de celui-ci, et à la clarté souhaitée pour la vie quotidienne en ces lieux.

- soit la pigmentation de la couche de l'enduit de finition ou de la peinture s'exprime différemment de lors du test, du fait de la différence d'hygrométrie de la surface murale traitée par rapport à celle dusupport utilisé pour l'échantillonnage. Le travail de la matière peut impliquer, au cours du chantier, une plus grande remontée d'eau à la surface de celui-ci lors de la phase de lissage, et impliquer de fait une variation de teinte, sans que nous puissions en maîtriser et en prévoir l'ampleur.
Ces manifestations parfois rencontrées dans le cadre d'enduits et de peintures écologiques formulés à la demande, sont naturelles et en partie indomptables. Il faut être conscient que, bien que l'artisan ou le décorateur en herbe prenne le plus grand soin à formuler et appliquer peintures et enduits naturels, la promesse du rendu sera forcément plus aléatoire qu'avec des produits industriels et synthétiques.
C'est entre autres pour leurs compositions à base de matériaux vivants que l’on fait appels à ces savoir-faire, il faut d'avance pouvoir faire preuve de souplesse face au rendu final.
*
Témoignage d’une situation récente :
Lorsque ma cliente D me demande de réaliser un enduit lisse et lessivable derrière la paillasse de cuisine de son gîte, nous n’avons que 4 mois avant sa réouverture à la location.
Je décide donc d’opter pour un renformis à base de chaux-chanvre pour recoucrir les pierres apparentes, puis, une fois le support ferme et pris (une bonne dizaine de jours après), d’enchaîner corps d'enduit à la chaux hydraulique et stuc ciment a fresco.
J’applique le chaux-chanvre sur un mur de pierres dures jointoyées à la chaux. L’évaporation ne s’effectuera pas de façon homogène sur l’ensemble du panneau, donc,selon les zones, l’absorption de l’eau du stuc sera très relatif, et des variations de teintes en découleront.
Par ailleurs, le séchage long impliquera des phénomènes de nucléations plus ou moins prononcés, ce qui aboutira à un rendu final unique et vraisemblablement assez dynamique.
L’enduisage achevé, je quitte le chantier en signifiant à ma cliente que la location d'un déshumidificateur de chantier sera nécessaire afin de pouvoir huiler l'enduit une fois bien sec avant réouverture au public (car nous sommes en hiver, que l’espace ne peut être aéré comme en belle saison, et que le timming est relativement serré avant la reprise de sa saison).
Mi-janvier D s’impatiente un peu, et pour cause :
« - c’est toujours très foncé, ça doit beaucoup s’éclaircir encore, non ?
- Théoriquement oui. Vu l’épaisseur c’est encore très humide à cœur, la couche superficielle ne perd son eau qu’à la toute fin. Si je m’en réfère à l’échantillon que vous validions initialement ensemble, il devrait encore descendre de la moitié de sa densité actuelle.
- j’espère en effet, sinon il va falloir faire quelque chose [...] »
Voilà ce à quoi l’enduiseur est confronté au quotidien dans son activité, les surfaces murales paraissant toujours plus foncées au départ, plus vibrantes aussi. Le séchage opère à son rythme, dépendant de la saison, de la météo, de l’aération de la pièce, de l’épaisseur de l’enduit…
Infinis sont les paramètres, seul le temps finit par arriver au bout de toutes ces interrogations.
...et un beau jour c’est enfin sec...
Certains aspects nous étonnent, dépassent ce que l'on avait pu imaginer en échafaudant le projet...
« - Aaaaaah !
- Rassuré-e ?
- plus ou moins. Le séchage fût long,mais on voit bien la différence une fois sec, oui.
...et c’est finalement assez proche de ce qu’on avait décidé ensemble [...] »
Et si, par je ne sais quel phénomène, le stuc, l'enduit ou le badigeon, apparaissait réellement plus foncé que la teinte attendue ?!
Soit le client s’en accommode, enthousiaste, soit…...
...soit nous réfléchissons à une éventuelle option pour adapter le rendu.
Il y a parfois un surcoût, de temps de recherches complémentaires, de matériaux et de temps d’application... jusqu’au compromis satisfaisant, celui qui dissipe les doutes et provoque en chacun de nous un sourire d'apaisement.
Quand notre entourage nous confronte à un choix de coeur incompris, ça peut être l'impasse !
"- mais quelle idée, voyons ?!"
Ce projet-ci fut concerné par ce cas de figure :


premier jet / envie initiale : teintes pêchues d'inspiration pompéienne
rendu final /
consensus familial :
teintes apaisantes avec haut de mur "poudré"
Envies, goûts et couleurs ne se partagent pas forcément, et selon les lieux c'est parfois délicat.... rien ne vaut un bon brain-storming pour remettre les choses à plat.
Ah l'aventure humaine et ses subtilités, seuls nous sauvent dialogue et d'écoute, de soi, de l'autre. Ce n'est pas toujours simple, on marche parfois sur un fil...
...La vie, un vrai parcours d'équilibriste !